Tenet : le premier mauvais Nolan ?

/!\ La critique suivante contient des spoilers /!\

Au premier abord, Tenet semble se rapprocher d'Inception, avec son esthétique de film d'espionnage et son rapport trompeur à la réalité. Mais si on fait fi des couches superficielles, il est bien plus proche thématiquement d'Interstellar. Car derrière les twists temporels, on ressent les préoccupations eschatologiques de Christopher Nolan à travers l'évocation d'une fin du monde proche que les protagonistes doivent combattre à tout prix.

Si dans Interstellar, le monde contemporain trouve son salut à travers l'aide des civilisations du futur. Dans le cas de Tenet, ces hommes du futur sont à l'inverse des antagonistes cherchant la destruction du monde. Ces ennemis menaçants et omniscients restent invisibles durant tout le long-métrage, et se manifestent uniquement à travers le personnage d'oligarque de Kenneth Branagh, qui est compétent dans son rôle mais qui peine à me convaincre avec son accent russe.

En termes de complexité scénaristique, Tenet dépasse largement les précédents films de Nolan. Il est pratiquement impossible de comprendre les règles édictées par le réalisateur au premier visionnage. Tel un concepteur de jeux malicieux, il s'amuse à empiler les règles les unes par dessus les autres dans le but d'en déployer toute la sophistication lors de la dernière partie du film. N'ayant moi-même pas compris grand chose de tous les mécanismes introduits par le cinéaste, je me garderai d'en commenter les éventuelles incohérences. Je me contenterai de me focaliser sur une question plus simple et fondamentale de mon expérience de spectateur : qu'ai-je ressenti en visionnant Tenet ?

Comme toujours, le style de Nolan est propre et sans fioritures, dénué de tout pathos qui pourrait nuire au propos. Filmé souvent dans des pays nordiques à la lumière froide, le caractère dépouillé et minimaliste de l'ensemble est encore magnifié par la photographie de Hoyte Von Hoytema et la musique géométrique de Ludwig Goransson. Si l'esthétique du film est froide, on peut malheureusement en dire tout autant des personnages, dont on reste toujours détachés, sans jamais vraiment parvenir à s'identifier à eux, ni à ressentir de l'empathie à leur égard.

C'est là qu'on peut s'interroger sur le format "film d'espionnage", car trop souvent les répliques entre le Protagoniste et les autres acteurs consistent en des ordres de mission laconiques où "il faut aller à un point A rencontrer le personnage B pour récupérer un objet C". Christopher Nolan a beau y rajouter quelques touches d'humour et un sens du dialogue ciselé, rien n'y fait. Le seul arc émotionnel du film réside dans la relation amour-haine entre Andrei Sator et son épouse campée par Elizabeth Debicki. Mais s'agissant de personnages secondaires, leurs échanges ne constituent jamais la moelle épinière du récit (contrairement au rapport entre Cooper et ses enfants dans Interstellar) et on garde un certain détachement à leur égard, en s'étonnant parfois du zèle qu'investit le froid Protagoniste dans leur relation. De façon anecdotique, on peut noter la scène étonnante de brutalité entre Andrei Sator et son épouse (qui la piétine et lui crache au visage), sachant que Nolan présente une violence habituellement assez détachée (personnages tués au pistolet silencieux ou hors-champ).


Abordons maintenant la particularité du film : les retours dans le temps, ou plutôt comme Nolan les appelle : l'entropie inversée des objets. Si elle est à l'origine de scènes assez singulières, et ayant dû constituer un casse-tête à monter, je n'ai jamais vraiment ressenti le vertige cinématographique auquel je m'attendais. De même, le twist final du film (le Protagoniste devient le patron de l'organisation qu'il découvre au début du film) n'offre pas le tournis attendu. Tout au plus peut-on y voir la métaphore du jeune cinéphile découvrant son art et évoluant vers le réalisateur maîtrisant la manipulation sensorielle du spectateur.

Muturscore : 6/10 "D'une sophistication scénaristique sans commune mesure avec les précédentes oeuvres du cinéaste - et à fortiori avec le reste de la production cinématographique grand public - Tenet n'a pas réussi à parler à mon cerveau primitif. On peut en admirer les qualités techniques et le caractère singulier d'un concept poussé jusque dans ses derniers retranchements, Tenet échoue dans la mission première d'une oeuvre d'art : parler au coeur du spectateur."

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