Dunkerque de Christopher Nolan

Ici, on est des grands fans de Christopher Nolan. Ce n'est peut-être pas une assertion très originale, mais le sieur Nolan, à 46 ans, possède déjà une solide filmographie derrière lui.
Aussi, dire que Dunkerque est attendu relève de l'euphémisme tant chaque nouveau film du réalisateur britannique est attendu comme le messie par une foule de cinégeeks.
94 sur metacritic, 93 sur rotten tomatoes, 4.1 sur allociné. On peut dire que les critiques professionnels sont déjà dithyrambiques à son sujet.
Mutur et Gibbonsking seront-ils du même avis ?


L'avis de Gibbonsking :

Alors voilà la dernière réalisation du père Nolan, chantre des timelines parallèles, des sous scénarios à tiroirs, et des cliffhangers en tout genre, et depuis une petite quinzaine d'années, poids lourd d'Hollywood. Je fais cette critique à chaud en sortant du cinéma (je préfère le préciser). 
D'une manière générale je suis déçu par ce film, ou plutôt les attentes que j'en avais le sont. Je m'attendais à une super-production se muant en fresque épique guerrière, avec en toile de fond une ville de Dunkerque grimée et métamorphosée pour l'occasion. Ce n'est pas du tout ce que le film propose. 
Le film nous fait suivre en parallèle 3 personnages (ou groupes) distincts, qui ont chacun droit à leurs timelines, lesquelles se suivent et s'entrecroisent. Nous suivons donc un jeune soldat anglais dans une lutte désespérée pour la survie, un pilote de spitfire et un père de famille anglais venant secourir les soldats en déroute. 
L'atmosphère, les prises de vue et le format de tournage (je l'ai vu en 70 mm) donnent une impression globale de documentaire d'époque, des moments presque intimistes, sans doute collant à ce que voulait notre adorateur du réalisme, même si le format IMAX vient assurer des plans très larges et majestueux par moments. Soyons clairs, le film n'est pas mauvais, loin de là. Ce que Nolan veut faire, il le fait bien. 
Donc pour résumer, Dunkirk est un film voulant retranscrire l'histoire au plus près, qui suit des soldats luttant pour leur survie dans un moment de désespoir comme la seconde guerre mondiale en offre tant. Il ne faut pas espérer des effusions d'hémoglobine ni du grand spectacle comme pour un "soldat Ryan", ni des accès d'héroïsme à la "Tu ne tueras point". Ici on est dans le vrai, dans la simplicité si cruelle de la guerre, où se dévoilent des hommes faisant juste leur part tandis que d'autres luttent pour la survie. Mais est-ce suffisant pour un grand Nolan ? Ce grand monsieur en passe de devenir un monstre sacré du cinéma ne serait-il pas en train d'oublier qu'une histoire se construit sur des personnages, et qu'il faut, eux aussi les construire ?



L'avis de Mutur :

Il s'agit probablement du blockbuster le plus attendu et le moins commercial de l'été, ce qui est déjà un testament à la liberté artistique acquise par Christopher Nolan au fil de ses succès commerciaux ( et critiques ). On est loin du lourd cahier des charges cinématographique que Marvel impose à ses tâcherons ( oui, le terme est dur ), ici on sent bien que Nolan est dans le contrôle absolu de son oeuvre.
Ainsi, aboutit-on à des partis-pris artistiques qui ne peuvent pas plaire à tous, et quelque part c'est tant mieux. Il est devenu tellement rare de voir de telles prises de risque dans le cinéma à ce niveau de budget. Il se murmure que Dunkerque aurait coûté près de 300 millions de dollars, marketing compris, ce qui ne le place pas très loin des habituels mastodontes de l'été comme le énième Transformers ou film de superhéros lambda.

Dunkerque, c'est avant tout une expérience sensorielle, même si je n'ai pas eu la chance de le voir en IMAX. Quand on lit les critiques qui ont été publiées, le mot "expérimental" revient souvent. L'aspect narratif, contrairement aux autres films de Nolan, est ici épuré à son minimum. Il y a peu de dialogues, il s'agit avant tout de nous immerger dans une atmosphère de désespoir. Et en cela, le film est une réussite totale. Il n'y a pas de flashbacks sur la vie passée des personnages, de réunions de généraux dans des salles obscures, rien qui ne puisse nous détourner du sentiment d'immédiateté dans lequel nous sommes plongés.

Autre point clé, l'émotion. Les films de Nolan ont toujours été dotés d'une froideur clinique même si celle-ci est très esthétique ( merci aux directeurs photo Wally Pfister et Hoyte Van Hoytema ). Interstellar, à sa sortie, nous a été présenté comme axé sur l'amour entre un père et sa fille. Mais je n'avais pas été convaincu par cet aspect-là du film, que j'ai trouvé trop artificielle. Ici, on a affaire à un héroïsme plus anonyme, qui ne passe parfois même pas au travers d'une parole. On pense notamment au pilote joué par Tom Hardy et au marin joué par Mark Rylance. Et c'est à travers cette sobriété que le film de Christopher Nolan nous connecte le mieux à ses personnages, dont on conçoit toute la bravoure.

Dans la filmographie de Nolan, je trouve Dunkerque plus réussi que ses deux films précédents ( Interstellar et The dark knight rises ), mais sans égaler le magistral et frénétique Dark Knight de 2008.


Débat :


Gibbonsking : Toute la problématique du cinéma de  Nolan (à mon sens) a toujours été le fond et la forme.
Je m'explique; commençons avec ce en quoi Nolan est très fort : la forme.
Sur le plan visuel : Nolan est un esthète, pour qui le cinéma doit retranscrire la réalité, ou une supposée réalité (si par exemple on pouvait voyager dans les rêves etc... réalisme ne veut pas dire réaliste.) En ressort une préférence naturelle pour des effets mécaniques, et trucages analogiques plutôt que numériques. ( Le bonhomme s'était embêté à faire tourner un couloir à 360 degrés sur lui même avec Joseph Gordon-Levitt dedans, plutôt que d'utiliser des images de synthèses.)



Mutur : Et il a bien fait !

G : Sur Dunkirk, il pousse ce gimmick à son paroxysme en utilisant des vrais spitfires d'époque, de vrais navires, en tournant sur place à Dunkerque et en laissant les scènes en studio au minimum. D'autre part, on retrouve la patte graphique de l'animal à travers son image légèrement décontrastée et désaturée, et au plan très large propre à l'IMAX qui donne un rendu assez majestueux en extérieur il faut le reconnaître.

M : Je trouve plutôt que la cinématographie des films de Nolan présente au contraire une image très saturée, ce qui n’est rendu probablement possible que par l’utilisation exclusive de la pellicule ( Nolan refuse de tourner en numérique ). A l’inverse, les films Marvel ont une image très désaturée et fade. Un internaute s’est d’ailleurs amusé à examiner la palette des couleurs utilisée sur tous les films Marvel.

G : D'ailleurs Nolan en a conscience lui même. Il  se permet d'en jouer, avec des couleurs qui sont plus vives et chaleureuses dans la première scène du film et dans la dernière, soit avant et après l'horreur de la guerre, où tout n'est que nuance de gris, comme pour signifier la perte de l’espoir. Ces préférences assez coûteuses explique en partie pourquoi le film coûte aussi cher en ne durant (que) 1h40 min (on parle d'un Nolan là). Donc visuellement, oui ça a de la gueule. Mention spéciale aux bataille aériennes qui rendent hommage à ces as du ciel et qui sont impressionnantes pour le coup.
La musique: Comme d'habitude on retrouve Hans Zimmer à la musique. Le pape des compositions musicales de grande classe récidive l'exploit qu'il avait réalisé dans The Dark Knight avec un thème lancinant, probablement réalisé à la scie comme pour celui de feu le Joker. En la faisant varier, notamment pour l’accélérer à sa guise, monsieur Zimmer transforme la musique en une espèce de minuterie, faisant  poindre l'urgence, l’insécurité, le malaise, le désespoir de ces soldats pris au pièges. Ce compte à rebours permanent ne s'interrompt que pour laisser place à un impact de balle, de bombe ou autre torpille. La surprise et l'effet en sortent renforcés, bien joué.


M : Je suis d’accord. L’ambiance sonore ( tant la musique que les bruitages avec les sifflements des balles, les craquements dans la coque des navires lorsqu’ils sombrent ou les hurlement des Stukas qui descendent en plongée ) est une grande réussite.

G : La narration: Si le scénario fait partie du fond, la manière de le raconter sert la forme.
Un des gimmicks de Nolan, on le sait bien, est la narration non linéaire. Depuis ses premiers amours avec "Memento", en passant par le très bon "le Prestige" jusqu'à aujourd'hui avec ce Dunkerque.
Cette narration, si elle est bien maitrisée ( Nolan en est un maître) peut soit construire le film en tant que tel ("Memento"), soit renforcer le cliffhanger final  comme dans "Le Prestige". Ici nous avons 3 timelines aux temporalités différentes, l'histoire du jeune soldat se déroulant sur une semaine, celle du marin d'eau douce anglais sur un jour et celle de Tom Hardy sur une heure.
Force est de constater que tout cela est fort bien exécuté, c'est un coup de maître. Cela étant dit, quelle en est son utilité ? Pouvoir étaler l'action des trois protagonistes sur tout le film ? Je ne peux néanmoins pas m’empêcher de penser que c'est ici bien superflu, c'est là que le désir d'avant-gardisme se prive de la pertinence. J'ai la désagréable impression que toute cette figure de style cinématographique n'est là que pour masquer des failles béantes du scénario. En somme un splendide et très élégant enfumage. A se demander si Nolan ne fait pas ses films en priorité pour lui même. ( Et c'est bien évidemment son droit). Il le fait, juste parce qu’il peut le faire.
Et maintenant, abordons le fond, à commencer par le scénario.
C'est là à mon sens que le bât blesse. L'histoire débute par un panneau noir pour nous situer le contexte, ce que la scène d'ouverture réussit très bien à faire en passant. On est directement plongé dans le feu de l'action, au côté de personnage dont bien souvent on ignore même le nom.. jusqu'à la fin du film. Bien souvent, trois sera le nombre maximum de répliques autorisées par personnages. Certains partis pris sont intéressants: débuter dans le feu de l'action, une bonne exposition en une scène, le choix de ne pas montrer les Allemands, (car ici c'est les personnages que l'on suit, pas la guerre.)

Malheureusement, selon moi, tout ça est gâché par l’absence complète de développement des personnages, ce qui empêche toute empathie à leur égard. Et c'est le principal problème du film selon moi. Car dès lors que l'on n’est pas attaché aux personnages, peu nous importe qu'ils meurent ou pas. Tout ce qui leur arrive nous laisse de marbre. Nolan ne filme pas des personnages, il filme ce qui se passe, il est factuel.
Attention MINI SPOILER : pour illustrer cela, prenons le personnage du père anglais, au début du film on se dit, ah il a été réquisitionné mais il tient à y aller lui même, c'est un bon gars. On le suit, mais finalement, à l'image du jeune qui meurt d'une commotion cérébrale, sa mort nous aurait-elle attristés ? non, car ce n'était qu'un personnage fonction. "le civil sur le  bateau qui vient aider". A la fin du film, on apprend que son fils aîné était pilote dans la Royal Air Force et qu'il a péri au début de la guerre on combat. Cette petite information réussit à donner vie au personnage, on comprends alors qu'il refuse de laisser d'autres jeunes mourir dans un guerre déclenchée par sa génération, le sentiment de culpabilité qui squatte quelque part dans son cœur, là on s'attache, on se dit le pauvre, c'est quand même ça être un héros. Voilà, une phrase et on construit un vrai personnage.


Malheureusement les deux autres protagonistes principaux n'y auront pas droit et resteront des personnage fonctions. Ce défaut d'écriture est récurrent dans le cinéma de Nolan, mais souvent au second plan, presque invisible. Ici il est exacerbé, car c'est le film prototypique de Monsieur N.

M : Je ne pense pas qu’on puisse considérer ce minimalisme comme un défaut. Il est vrai qu’on en sait peu sur les personnages. Mais Dunkerque est plus un film d’atmosphère qu’un film narratif. Je comprends que cela puisse dérouter. Mais le film est traité ici comme un survival et le but est vraiment de se mettre dans la peau du soldat qui essaie d’échapper à l’enfer de la guerre. Quand ils sont dans le destroyer qui se fait torpiller, on se soucie peu de ce qu’ils ont fait avant, de qui était leur petite copine, on y est avec eux, et on s’imagine à leur place en train de se noyer. C’est le côté viscéral ici qui prédomine, et ce minimalisme dans les personnages et les dialogues permet aussi de ne pas parasiter l’action.
Je suis d’accord que Dunkerque est un film très différent des blockbusters habituels, et qu’on peut ne pas l’aimer pour ça. Mais ça fait aussi du bien de voir un film un peu frais qui sort au milieu des amas de remakes, sequels et reboots insipides et téléphonés.

G : Les acteurs : A mon sens, la direction d'acteurs n'a jamais été le fort de Nolan. Avec lui, les acteurs sont livrés à eux même. Deux possibilités : soit l'acteur est brillant et le rôle est assuré (Heath Ledger, Gary Oldman, Hugh Jackman, Tom Hardy, Mark Rylance, Cillian Murphy, Matthew fucking McConaughey, Sir Michael Caine.) soit l'acteur qui peut être un très bon acteur mais qui à du mal à rentrer dans le rôle  ( Christian Bale, Marion Cotillard, Harry Styles, etc). Le choix de prendre de jeunes inconnus pour les rôles de soldat est toutefois pertinent pour ce que veut raconter Nolan: l'anonymat de la guerre, la jeunesse décimée. Difficile de juger ici le jeu des acteurs, quand ils n'ont ni dialogue, ni scènes posées. Mention spéciale à Tom Hardy dont on ne voit le visage que 10 secondes en fin de film et qui est gratifié de deux répliques.

M : Ce n’est pas parce que les personnages parlent peu que leur jeu d’acteur pauvre. Le même Tom Hardy dans Mad Max, parle à peine plus. Tout passait dans les regards, les grognements, le jeu du corps. Là encore, on est pris dans la frénésie du moment. Nolan parvient à éviter dans Dunkerque ( en partie parce qu’il s’agit d’un film historique et qu’on connait déjà le contexte ) les problèmes des dialogues qui servaient uniquement d’exposition dans ses précédents films ( je pense en particulier à Inception ou Interstellar ).
NB : pour ce qui est de Marion Cotillard dans Rises, je pense que le problème était tout autant lié à l’écriture du personnage qu’à la direction d’acteurs, mais là c’est un tout autre débat…

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